Yu Jie démystifie le populaire premier ministre chinois, le qualifiant de " roi de la comédie "
| Si les mémoires ou les biographies autorisés des dignitaires communistes chinois sont un rituel de la vie politique chinoise, les essais critiques sur des dirigeants en exercice sont de l'ordre du jamais-vu. Sorti lundi 16 août à Hongkong, Zhongguo Yingdi Wen Jiabao, ou Wen Jiabao, le roi de la comédie, de l'écrivain dissident Yu Jie est un pavé dans la mare qui démystifie le très populaire premier ministre chinois : " Ce qui est important, c'est d'oser s'exprimer : peut-être que les gens vont ainsi apprendre à critiquer les plus hauts dirigeants du pays ", dit-il depuis le café-librairie au bas de son immeuble de la périphérie de Pékin, où il donne ses rendez-vous. L'ouvrage n'est certes pas disponible en Chine populaire, mais sa publication, même à Hongkong, est sensible. L'éditeur, Bao Pu, connu pour ses audaces en matière politique - il publia en 2008 le journal clandestin de Zhao Ziyang, l'ancien numéro un chinois purgé après Tiananmen -, dut il y a quelques mois abandonner, suite à des pressions de Pékin, la publication d'un journal manifestement non autorisé, d'un autre acteur majeur de l'époque, l'ex- premier ministre Li Peng, âgé de 84 ans. Surtout, l'Internet, malgré la censure, s'est vite fait l'écho des écrits impertinents de Yu Jie. Grand adepte de Twitter, celui-ci faisait savoir hier que le livre était disponible en version sonore sur un site de télévision allemande. Aussitôt, un internaute s'empressait de mettre en ligne les fichiers sur renrenwang.org, un réseau social très fréquenté des jeunes Chinois. Début juillet, Yu Jie, qui fait partie des intellectuels très surveillés par les autorités (fondateur du Pen Club chinois, antenne locale, et illégale, de l'organisation internationale d'écrivains, il est interdit de publication en Chine) recevait la visite de policiers venus s'enquérir de son projet de livre. L'écrivain publia la transcription intégrale de l'entretien dans une publication sinophone américaine. Depuis, il n'a pas de nouvelles : " Ils ont appris que plus ils font du bruit, plus ça fait de la publicité au livre ", dit-il. Le " roi de la comédie ", qui donne son titre au livre, est une boutade répandue sur Internet au sujet du premier ministre, malgré l'admiration réelle que lui voue la majorité du public. Wen yeye (" grand-père Wen "), comme l'appellent affectivement les Chinois, est le visage humain du régime, son joker compassionnel, une sorte de Mère Teresa communiste dont la présence même vaut parfois bien autant que le réconfort matériel qu'il amène dans son sillage. Il se rend d'urgence sur les sites des catastrophes, réconforte les gens, pleure avec eux, galvanise les secouristes. C'est lui aussi qui prend dans ses bras les orphelins, ou serre la main des malades du sida. " Erreur totale " Plus rapide, plus efficace, et donnant davantage de gages de sincérité que bien des dirigeants de pays démocratiques, M. Wen est porteur, aux yeux de bien des commentateurs occidentaux, d'espoir de réformes politiques en Chine : c'est " une erreur totale d'interprétation, estime Yu Jie. Wen Jiabao ne peut promouvoir aucune réforme. Ce n'est tout simplement pas son rôle. " Qui n'a pour fonction " que de contrebalancer le côté plus sévère du président Hu Jintao ". Le duo " président-premier ministre ", à l'image du couple " bon et méchant flics ", est une constante dans l'histoire du parti et, pour Yu Jie, celui-ci est l'un des plus réussis en terme de complémentarité, depuis Mao Zedong et Zhou Enlai - auquel est justement souvent comparé Wen Jiabao. L'écrivain, qui critique régulièrement dans ses essais les mensonges et les dissimulations historiques de la propagande, ne croit pas à une réforme venant de l'intérieur : " Depuis 1989, on ne peut plus parler, au sein du parti, de camp progressiste et de camp conservateur. On est face à des conflits d'intérêts et des luttes de pouvoir. Le parti s'est rendu compte qu'il valait mieux ne pas faire entrer au centre du pouvoir des gens réellement réformateurs, tel Zhao Zioyang. Tout est fait pour les éliminer. Et on choisit des gens pour leur fidélité politique : ils ne sortent pas du rang et sont coulés dans le même moule. " Brice Pedroletti © Le Monde |