De Pascale TROUILLAUD
(AFP)
Le Tibet et le Xinjiang ont beau être des épines dans le pied du Parti communiste au pouvoir à Pékin, aucun visiteur du pavillon chinois de l'Expo universelle de Shanghai n'en saura rien: l'harmonie règne sur ces terres de tradition et de progrès.
Situés dans l'immense pavillon Chine, ceux du Tibet et du Xinjiang offrent une vision idyllique de ces deux régions du grand Ouest de la Chine ensanglantées en 2008 et 2009 par des émeutes antichinoises.
"Avez-vous vu le film sur les changements extraordinaires au Tibet ces 51 dernières années depuis les réformes démocratiques?", demande Yang La, souriante hôtesse tibétaine du pavillon, habillée en costume ethnique, en référence à l'écrasement de l'insurrection antichinoise dans la région himalayenne en 1959.
Pendant cinq minutes défilent des images de paysages tibétains somptueux, du palais du Potala, de danseurs aux sourires béats, de touristes émerveillés. Mais aussi du train le plus haut du monde qui a désenclavé le Tibet, de laboratoires, de panneaux solaires et d'aéroports, emblématiques du développement que Pékin se targue d'avoir apporté à la région deshéritée.
Pas d'images des moines bouddhistes du Tibet qui se plaignent de la répression de leur culture et religion. Trois moines en robes seulement apparaissent dans le film: ils sont devant un ordinateur.
Dans un salon tibétain reconstitué, deux cadres au mur: l'un est un montage de photos de Mao Zedong, Deng Xiaoping, Jiang Zemin. "Les photos de nos trois générations de dirigeants", explique Yang.
Le représentant de la 4e, le président Hu Jintao, a droit a un cadre pour lui tout seul où il apparaît tout sourire avec des Tibétains, sur fond de Potala.
Les deux cadres sont entourés de la hada, l'écharpe blanche traditionnelle, pour "remercier la Chine de sa préoccupation pour le peuple des Tibétains de tous les groupes ethniques", récite l'hôtesse, qui assure que sa formation n'a porté que sur son anglais, son maintien et son maquillage.
Au mur, une reproduction d'une fresque sur "la joyeuse fête du Losar --le Nouvel an tibétain--, réalisée par un artiste Han, ethnie dominante en Chine, montre "les peuples du Tibet de toutes les ethnies qui mènent une vie heureuse", explique la légende.
Pourquoi ne voit-on pas d'images de moines ni de monastères au pavillon du Tibet? Yang s'excuse dans un sourire et fait un pas en arrière. Opportunément, un responsable du pavillon vient la chercher pour accueillir des étrangers.
Le groupe Free Tibet a appelé les dirigeants étrangers à "éviter le pavillon du Tibet".
"Visiter cette parodie équivaudrait à approuver tacitement la politique chinoise de détentions arbitraires, de tortures, d'enlèvements, de rééducation patriotique et d'occupation du Tibet", explique-t-il dans un communiqué.
Non loin du "Tibet céleste" --décrit récemment par le dalaï lama comme l'enfer sur Terre-- un panneau proclame: "Xinjiang, terre d'harmonie".
Les Chinois font la queue devant le pavillon pour assister à un spectacle enlevé de danseurs traditionnels pendant qu'est projeté un film de propagande avec incrustations.
"Il y a beaucoup d'ethnies différentes au Xinjiang", peut-on lire, "le Xinjiang a un des niveaux les plus élevés de mécanisation de l'agriculture".
Après la danse, Liu Jiyuan, un visiteur, applaudit à tout rompre.
Le pavillon est "un endroit merveilleux qui montre les paysages du Xinjiang", explique ce Han de Urumqi, capitale de la région où des émeutes ont fait plus de 200 morts en juillet 2009.
"Et vous, qu'est-ce que vous savez de ce qui s'est passé au Xinjiang, hein?", crie-t-il quand on l'interroge sur ces violences entre Hans et Ouïghours musulmans.
Un homme de la sécurité du pavillon vient l'attraper par les épaules. Il l'emmène, mettant fin à l'interview, et lance: "Dégagez".