Elle a une voix puissante, « une voix extraordinaire, qui peut monter très haut, avec un vibrato particulier », raconte Ursula Gauthier, une journaliste française qui l’a interviewée. Une voix typique, paraît-il, des hauts plateaux de l’Amdo, cette région du nord-est tibétain aujourd’hui intégrée à la province chinoise du Qinghai. Jamyangkyi, 42 ans, chante l’amour, la nature, le destin. En chinois et en tibétain. Sur les ondes chinoises et sur Internet (1). Troisième fille d’une famille rurale modeste, elle aurait pu ne jamais aller à l’école, comme ses soeurs. Pourtant, elle a réussi à faire des études et est devenue, un peu par hasard, présentatrice à la télé, sur la chaîne d’Etat Qinghai TV. Elle aime aussi écrire des poèmes et a publié des essais dans lesquels elle parle de la condition de la femme au Tibet. Mais Jamyangkyi ne s’exprime plus. Elle a disparu. Le 1er avril dernier, des témoins l’ont vue sortir de son lieu de travail encadrée par deux hommes en civil. Ils disent aussi que la police chinoise a fouillé son bureau. Et, depuis le 7 avril, son mari, ses filles, ses amis et ses collègues n’ont aucune
nouvelle.
Personne ne sait où elle est détenue, ni pour quel motif.
Pourquoi elle ? Les intellectuels arrêtés sont souvent moins médiatiques. Or, Jamyangkyi est une star de la chanson populaire, une intellectuelle en vue. Ce n’est pas « une enragée du patriotisme tibétain », explique Ursula Gauthier. C’est une femme « moderne », qui n’est pas « du genre à cacher des photos du dalaï-lama sous son lit ». Une femme « à l’esprit libre, mais qui n’a jamais eu de problème avec la police par le passé », ajoute Laetitia Luzi, chef d’une mission humanitaire. Alors, pourquoi cette arrestation ? Pour l’exemple ? En 2006, Jamyangkyi avait passé deux mois à New York pour donner des concerts avec des chanteurs tibétains exilés et des cours dans différentes universités. Elle a aussi jeté quelques pavés dans la mare en dénonçant les mariages forcés et la place de la femme dans la société, rapporte une de ses amies. Rien de répréhensible à l’époque. D’ailleurs, précise Ursula Gauthier, « elle ne conteste pas l’appartenance du Tibet à la Chine, son combat est féministe ».
Defait, Jamyangkyi, qui a lu « Le Deuxième Sexe » de Simone de Beauvoir, se consacrait surtout, depuis cet automne, à l’écriture d’un manuscrit, « un livre sur la situation des femmes dans les campagnes, à l’attention des jeunes Tibétaines éduquées », selon Ursula Gauthier.
Un comité de soutien est en train de se mobiliser en France. Le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, et la secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme, Rama Yade, ont été sollicités. Jane Birkin et Irène Frain seraient prêtes à s’investir. « Parmi les magnifiques rayons de ta pensée, je vois une lampe qui éclaire l’obscurité au Pays des Neiges», écrit Jamyangkyi dans un de ses poèmes (2). Jusqu’à aujourd’hui, les autorités ne trouvaient rien à redire à ses vers imagés.
« Le courage de Jamyangkyi est d’avoir osé être elle même, c’est-à-dire une Tibétaine qui défend les femmes, analyse Jean-Paul Ribes, président du Comité de soutien au peuple tibétain. Son crime serait-il d’être tout simplement ce qu'elle est?
Par Julie Lastérade.
(1) www.youtube.com
(2) « Woeser, fille de la Mère ». Ses poèmes et ses essais vont être traduits en français. Le blog de Jamyangkyi : www.tibetabc.cn/user1/jamyangkyi/index