Le 25 février 2007
« En raison des souffrances qu'ils ont endurées et de la lutte qu'ils ont menée – et qu'ils n'oublieront jamais – les Chinois sont catégoriquement opposés au colonialisme et à l'esclavage sous toutes leurs formes. La Chine n'a jamais imposé sa volonté ou des pratiques inégales à d'autres pays et ne le fera jamais à l'avenir. »
Qui l'eut cru ? Comme ce qui va sans dire va encore mieux en le disant ; cette citation est extraite du discours prononce par l'actuel Fils du ciel, le président Hu Jintao en personne, à l'université de Pretoria à la fin de son voyage « historique » en Afrique. Sans doute son autocratique Excellence devrait-elle tenir ces propos lénifiants aux Tibétains, Mongols, Mandchous et autres Ouighours pour les rassurer quant à la bienveillante protection de la Cite interdite qui s'interdit ainsi impérialement la moindre velléité coloniale ou colonisatrice …
Néanmoins, cette volonté proclamée par Pékin de ne pas infliger à autrui ce qu'elle a souffert ne craint pas de contredire d'autres déclarations non moins ronflantes. Ainsi la Chine s'arroge-t-elle rituellement le droit de rappeler à l'ordre quiconque ose parler du Tibet ou avec le Dalaï-lama. Sous prétexte de « souveraineté nationale » et de « non ingérence dans les affaires d'autrui. »
Tiens donc… Se souvient-on de la réponse tonitruante du ministre des affaires étrangères du Reich en 1933 à la Société des Nations qui protestait contre le traitement infligé à des groupes minoritaires en Allemagne ? Pour mémoire, la voici : « Nous sommes un Etat souverain, nous faisons ce que nous voulons… nous n'avons de contrôle à subir ni de la part de la communauté internationale ni de la SDN » martelait un certain Joseph Goebbels… C'était avant les JO de Berlin, et ces propos éveillent aujourd'hui encore de curieux échos – même si parfois les leçons de l'histoire semblent bien oubliées…
D'autre part, les dirigeants chinois eux-mêmes ont-ils la mémoire si courte qu'ils ne sauraient plus évaluer le rôle joué par la construction de voies ferrées sur le territoire chinois dans ce qu'ils appellent l'humiliation de la pénétration étrangère sur leur sol ? Trop facile à dire pour le croire sincèrement… A force de manipuler l'histoire et de travestir les faits, on peut à la rigueur berner temporairement des opinions mal informées, mais les faits sont têtus et ont ceci de particulier qu'ils finissent un jour par resurgir en dépit de tous les efforts accomplis pour les faire disparaître.
Et déverser quotidiennement des milliers de colons en quête d'hypothétiques eldorados sur le toit du monde comme c'est le cas depuis l'inauguration l'an dernier du chemin de fer Lhassa – Pékin porte un nom, voire deux – à choix : colonisation, ou usurpation de terres par la force au détriment des autochtones et au bénéfice du colonisateur. Il ne suffit pas de grandes envolées lyriques destinées à travestir la réalité en jetant de la poudre aux yeux des plus crédules, les faits les démentent. Réécrire l'histoire à sa convenance s'appelle aussi révisionnisme, et nier les faits se qualifie de négationnisme.
Peut-être ces mots-là ne sont-ils pas forcément doux à entendre aux oreilles des autocrates pékinois, ils reflètent cependant leurs pratiques systématiques concernant le Tibet et les Tibétains. Toutes les puissances naguère coloniales l'ont appris à leurs dépens ; la Chine ne saurait faire exception. Et si les pays démocratiques, le monde occidental dans son ensemble, ont une leçon importante à ne pas oublier du siècle précédent, c'est qu'il est des moments dans la vie où le compromis n'est plus de mise, car il n'en vaut pas la peine. Si les JO de Berlin se sont estompés des mémoires, ceux de Moscou sont peut-être plus proches : ils avaient été boycottés par plusieurs pays en raison de l'invasion soviétique en Afghanistan. Et les prochains, ceux de 2008 ?
L'amère expérience des années 30/40 l'a démontré : se rendre piteusement aujourd'hui aux sirènes chinoises en renonçant dans les faits à faire respecter les valeurs fondamentales de liberté et des droits de l'homme dont on se réclame réveille des échos de lâcheté ne faisant honneur à personne. Car à l'heure des choix, les mots ne sont pas innocents – et les dirigeants chinois le savent aussi bien que d'autres. Faut-il rappeler que dans le jargon de la théorie officielle du régime, l'invasion militaire du Tibet se dit de 1950 à 1959 « libération pacifique de l'impérialisme étranger » pour devenir soudain, après mars 1959 – soulèvement populaire anti-chinois de Lhassa et début de l'exil pour le Dalaï-lama et des milliers de Tibétains – « libération des serfs et réforme de la société » Peut-être convient-il aussi de prêter attention à un changement sémantique plus récent dans le discours officiel qui vantait naguère « la montée pacifique de la Chine » et qui parle dorénavant du « développement pacifique de la Chine ». Pour éviter un lointain écho de la « montée du Reich » d'imprescriptible mémoire ?
A en croire un vieil adage, la parole est d'argent, mais le silence est d'or. D'argent, la parole ? D'espèces sonnantes et trébuchantes pour faire son marché à la foire d'empoigne des richesses naturelles afin de satisfaire les appétits gargantuesques d'une économie chinoise exponentielle. D'or, le silence ? Oui, pour les dirigeants chinois en chasse sur tous les continents afin d'assurer une croissance à tout crin sans le moindre scrupule – et tant pis pour tous les crève-la-faim de chez eux et d'ailleurs, Darfour et autres laissés-pour-compte de toutes les aventures de la mondialisation. Non, pour tous ceux qui ne veulent pas se laisser bâillonner, qui sont encore libres – ou à peu près – de parler et qui refusent que le Tibet meure de nos silences.