CourrierInternational
Après les manifestations au Tibet en 2008, les émeutes d’Urumqi soulignent l’échec de la politique répressive menée dans l’ouest de la Chine depuis vingt ans, écrit un analyste. L'unanimité de la direction du Parti autour de Hu Jintao sur ce sujet pourrait être remise en cause.
15.07.2009 | Willy Lam
On peut voir ça comme un combat à armes inégales avec une dimension ethnique. Mais, pour la première fois depuis que le président Mao Tsé-toung a inventé les techniques de la guérilla, dans les années 1930, c’est la direction du Parti communiste chinois (PCC) qui est victime des rafales et des bombardements des Ouïgours, un groupe ethnique fort de 9 millions de personnes qui est devenu une minorité sur son propre territoire. Aussi n’est-il pas surprenant que le président Hu Jintao, qui dicte la politique de Pékin envers les Ouïgours et les Tibétains, ait dû s’empresser de rentrer en Chine au beau milieu de la réunion du G8 et du G5 [principaux pays émergents], qui se tenaient en Italie. De mémoire récente, c’est la première fois qu’un chef d’Etat chinois a dû écourter une visite à l’étranger pour faire face à une crise dans son propre pays.
Les autorités de Pékin sont on ne peut plus responsables de la détérioration précipitée des liens entre les Chinois, d’une part, et les Ouïgours et les Tibétains d’autre part. Depuis la vague de protestation tibétaine, en mars 2008 [des émeutes à Lhassa ont fait officiellement 19 morts et plus de 200 blessés, selon le gouvernement tibétain en exil], la chaîne de télévision centrale CCTV et d’autres médias officiels ont diffusé sans relâche des enregistrements visant à discréditer les Tibétains et les Ouïgours en les faisant passer pour des complices des forces “antichinoises à l’étranger”, des éléments antipatriotiques et, par conséquent, indignes de confiance. Résultat : jusqu’à aujourd’hui, il n’est pas rare que des hommes d’affaires ouïgours travaillant sur le littoral chinois, millionnaires pour certains, se voient systématiquement refuser l’accès à des hôtels cinq étoiles.
Dans ce contexte, on peut douter de la capacité du président Hu – considéré comme le plus grand spécialiste du PCC pour l’ouest de la Chine car il a occupé le poste de secrétaire du Parti pour le Tibet entre 1988 et 1992 – à renverser la tendance. Après tout, il est lui-même l’instigateur de la politique de coercition adoptée envers les Ouïgours et des Tibétains.
Après les manifestations de mars et d’avril 2008, Hu Jintao a fait capoter les discussions avec les émissaires du dalaï-lama. Par ailleurs, en violation flagrante de la Constitution chinoise – qui octroie aux deux régions l’autonomie en matière de religion, de langage et d’éducation, notamment –, la surveillance policière dans les mosquées et les monastères s’est intensifiée. Des intellectuels appartenant aux minorités ethniques, notamment des professeurs d’université sont régulièrement interrogés par la police [quelques jours après les émeutes d’Urumqi, l’économiste ouïgour Ilham Tohti a été interpellé à Pékin]. En outre, les écoles secondaires et les universités du Tibet et du Xinjiang ont été enjointes d’encourager l’enseignement du chinois et l’endoctrinement idéologique axé sur “le patriotisme et l’amour du Parti”.
S’il est si difficile de modifier les politiques draconiennes qui ont été adoptées envers les minorités ethniques, c’est aussi parce que la majorité des hauts responsables du Parti, du gouvernement et des officiers de l’armée sont, dans l’ouest de la Chine, des protégés du président Hu et des membres de sa faction de la Ligue de la jeunesse.
On peut notamment citer les secrétaires du Parti pour le Tibet et le Xinjiang, respectivement Zhang Qingli et Wang Lequan. Wang, qui est devenu vice-gouverneur en 1991, a passé près de vingt ans de sa vie dans cette région récalcitrante. En 2002, il a été accueilli au sein du bureau politique en récompense de ses efforts pour soumettre les Ouïgours. Toutefois, à la suite des nombreuses émeutes qui ont eu lieu l’an dernier au Tibet et au Xinjiang pour protester contre les autorités de Pékin, certains membres de la direction du PCC ont souhaité pénaliser voire renvoyer Zhang et Wang. Après tout, ces deux plénipotentiaires n’ont pas réussi à contenir les débordements de l’an dernier malgré tous les renseignements dont ils disposaient sur la volonté des fauteurs de troubles tibétains et ouïgours de gâcher les Jeux olympiques d’été. Les tactiques choquantes employées par Zhang et Wang ont également exacerbé les tensions entre les Chinois Hans et les diverses nationalités. Jusqu’à présent, le président a refusé de pénaliser les responsables politiques du Tibet comme du Xinjiang.
Les qualités de dirigeant de Hu Jintao font maintenant l’objet de critiques encore plus féroces de la part de la communauté internationale, notamment sur la question du respect des droits de l’homme. Les troubles au Xinjiang avaient donné aux chefs de gouvernement européens favorables au dalaï-lama, comme Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, un prétexte pour insister sur le fait que la Chine – cette superpuissance débutante – a l’obligation de satisfaire aux normes mondiales en matière de traitement des minorités ethniques. Pourtant, si le président Hu Jintao continue d’utiliser la force brute pour contenir le mécontentement des Tibétains et des Ouïgours, comme il y a fort à parier, la situation risque de se détériorer – et le coup porté à l’héritage du président serait foudroyant.