LE PARISIEN
Comme Barack Obama, le dalaï-lama était ce week-end à Paris. Mais le chef spirituel des Tibétains, âgé de 74 ans et qui vit en exil en Inde, n'a eu lui nullement droit au tapis rouge. Il n'a rencontré ni le chef de l'Etat, ni aucun membre du gouvernement, ni même Carla Bruni-Sarkozy qui lui avait pourtant assuré, lors d'une rencontre l'été dernier en France, qu'elle le reverrait avec plaisir.
Explication : ces derniers jours, la Chine avait prévenu qu'elle verrait comme une provocation inacceptable toute rencontre officielle entre les autorités françaises et celui que Pékin considère comme un « chef de bande séparatiste ». C'est donc dans une relative discrétion que le dalaï-lama a reçu à l'Hôtel de Ville, des mains d'un Bertrand Delanoë rentré de Roland-Garros où il assistait à la finale de tennis, les insignes de « citoyen d'honneur » de Paris.Le chef tibétain, habitué aux brimades et subtilités diplomatiques, prend la chose avec philosophie. « C'est la routine », confie-t-il dans un éclat de rire lors d'une rencontre avec quelques journalistes dans un palace parisien, où il arrive flanqué de son porte parole, vêtu comme lui d'une toge safran et rouge, le moine français Matthieu Ricard.
«Je fais confiance au peuple chinois »
« Si mon voyage avait eu un caractère politique, le fait de ne pas être reçu par le président Sarkozy aurait été un problème, reprend-il. Mais comme c'est une visite privée, il n'y a aucun problème. » Visite privée ? Outre la cérémonie à l'Hôtel de Ville, le dalaï-lama a tenu une conférence sur « l'éthique laïque » à Bercy devant un millier de fidèles et rencontré des membres de la diaspora chinoise.« Depuis un an, explique-t-il, je multiplie de tels contacts avec la diaspora pour une raison simple : je n'ai pas confiance dans le gouvernement totalitaire chinois mais je fais confiance au peuple chinois. » Entre Pékin et l'exilé tibétain, les rapports sont plus tendus que jamais. Revenant sur les émeutes sanglantes de l'an dernier au Tibet, le dalaï-lama accuse la Chine d'avoir « orchestré » les violences. Début mars 2008, raconte-t-il, des cars ont amené des « Tibétains inconnus » qui ont déclenché les violences antichinoises, l'armée et la police les ayant laissés faire pendant trois jours. Comme pour mieux justifier la répression qui s'est ensuite abattue sur cette province qui revendique son autonomie culturelle face au pouvoir central de Pékin. Hier, le dalaï-lama a d'ailleurs réaffirmé qu'il revendique l'« autonomie » et non l'indépendance. Ne craint-il pas d'être débordé par les jeunes générations tibétaines ? « Certains ont un discours radical, reconnaît le chef spirituel, mais c'est une minorité qui serait aussitôt écrabouillée par les Chinois si elle passait à l'acte. La majorité des jeunes veulent agir par la non-violence. » Mais le dalaï-lama ne parle pas que du Tibet. A propos de la crise économique, il dénonce « l'avidité » des « spéculateurs » qui a conduit au désastre, enjoint les manageurs d'entreprises de faire preuve « d'humanité » envers leurs employés. De même, il ne se cantonne pas à un auditoire bouddhiste. « Mon engagement, dit-il, c'est la promotion des valeurs humaines. Les valeurs d'une éthique laïque, ce qui signifie le respect de toutes les origines, de toutes les religions. » Enfin, le dalaï-lama, qui ne manque pas d'humour, a lancé en guise de boutade que le Français Matthieu Ricard ferait un excellent candidat à sa succession !