CourrierInternational
La décision prise par Obama de recevoir en personne le leader spirituel des Tibétains répond surtout à des exigences de politique intérieure.
Lors de la signature de la déclaration conjointe sino-américaine par les présidents Hu Jintao et Barack Obama, à l’occasion de la visite officielle de celui-ci en Chine, en novembre dernier, les deux parties ont particulièrement insisté sur la nécessité de respecter les intérêts cruciaux de chacun. La question taïwanaise et la question tibétaine font assurément partie de ces chapitres que la Chine considère comme intangibles, tandis que les Etats-Unis insistent sur l’importance de la liberté d’expression et du libre accès au réseau international Internet.
On assiste actuellement à une “grossière ingérence” de part et d’autre dans ces intérêts cruciaux respectifs. Après l’affaire Google et les ventes d’armes à Taïwan, les autorités américaines ont annoncé que Barack Obama allait rencontrer en février le leader tibétain en exil, le dalaï-lama, en visite aux Etats-Unis. Pékin a indiqué qu’il voyait dans ces deux décisions un recul des relations sino-américaines.
Cependant, si depuis le début de l’année Pékin a haussé le ton face à ces problèmes vieux de cinquante ou soixante ans que sont la vente d’armes à Taïwan et la reconnaissance du dalaï-lama, c’est en grande partie lié au fait que la Chine souhaite assumer un statut de grande puissance : il lui faut répondre à des attentes et à des demandes sur le plan intérieur – il lui faut tenir son rang. Les médias étrangers ne cessent de parler de G2, tandis qu’à l’intérieur de la Chine une partie de l’opinion publique souhaite que Pékin puisse discuter de nombreuses questions clés sur un pied d’égalité avec Washington, sans avoir à se plier aux conditions des Etats-Unis. C’est ce qui explique que Pékin n’ait cessé cette semaine de s’en prendre à l’attitude hautaine des Etats-Unis.
En particulier, sa réaction face à l’annonce de la prochaine rencontre entre le dalaï-lama et Barack Obama a été très claire. Les médias américains ont indiqué que lors de sa visite officielle à Pékin, en novembre dernier, le président Obama avait pris la peine d’avertir les dirigeants chinois qu’il comptait rencontrer le dalaï-lama cette année. On peut dire qu’il en avait poliment averti Pékin, et, à l’époque, les entretiens s’étaient tout de même poursuivis dans un climat cordial. Avant la visite officielle d’Obama en Chine, le dalaï-lama se trouvait aux Etats-Unis. Mais, pour préserver la qualité de ses futures discussions avec le président Hu Jintao, Barack Obama avait préféré ne pas le rencontrer à ce moment-là, ce qui lui avait valu des reproches dans les rangs des libéraux.
La réaction de Pékin ne doit pas surprendre Washington. Les prises de position du gouvernement américain à propos de Taïwan, du dalaï-lama et de certains conflits économiques avec la Chine prennent en compte en réalité des impératifs de politique intérieure, comme c’est le cas aussi pour le gouvernement chinois. Quand, le 27 janvier dernier, dans son discours sur l’état de l’Union, Barack Obama a déclaré avec éclat qu’il n’accepterait pas que les Etats-Unis occupent le deuxième rang mondial [en y étant ravalés par la Chine], il a été chaleureusement applaudi par l’ensemble du Congrès. On peut se demander comment, dans ces circonstances, alors qu’il bénéficie du soutien de nombreux membres du Congrès sur les questions taïwanaise et tibétaine, il pourrait se résoudre à se plier aux critères imposés par la Chine. A l’avenir, il faudra voir comment Pékin et Washington appréhendent ces facteurs extérieurs et intérieurs qui expliquent leur entêtement. Après avoir soupesé l’intérêt stratégique de ces facteurs et celui d’une coopération sur le long terme entre les deux pays, entre la nécessité d’égratigner l’autre pour la forme ou de vraiment lui faire mal sur le fond, ils seront plus à même d’arbitrer.
* Présidente de Radio Taiwan International.
C’est avec les tensions sino-américaines en toile de fond que s’est déroulée la dernière rencontre entre des émissaires du dalaï-lama et les autorités de Pékin, à la fin du mois de janvier. La presse chinoise en a rendu compte en rappelant que la souveraineté chinoise au Tibet était non négociable et en lançant des attaques personnelles contre
le dalaï-lama. La rencontre prévue entre ce dernier et Barack Obama pourrait “nuire à autrui sans apporter aucun bénéfice”, a commenté le quotidien officiel China Daily, citant les mots de Zhu Weiqun, haut responsable en charge de la politique en direction des minorités.