Se résigner, c'est donner une prime à la violence, tolérer l'intolérable, c'est se croiser les bras au lieu d'agir, disait un jour le Dalaï-Lama.
Regardez une carte de géographie, vous le verrez au coeur de l’Asie, même si son nom n’y figure plus, au milieu de nulle part, c’est-à-dire au centre même, axe de la planète dorénavant assimilé au « troisième pôle » ou toit du monde au-dessus des étendues euroasiatiques, pays que des idéologue s’acharnent à faire disparaître en l’effaçant de l’histoire des hommes et que d’autres, mieux inspirés et fondés à le faire, préservent tranquillement avec non moins d’obstination pour l’avenir des générations futures. Pays qui existe tellement à force d’être souhaité disparu corps et biens de la mémoire humaine et dont l’âme nomade caracole sur la crêtes des montagnes, des nuages ou des rêves.
Défaite des vainqueurs, victoire des vaincus : alors que le bras de Pékin se fait de plus en plus long à mesure que ses interlocuteurs se font plus petits et semble étendre ses tentacules bien au-delà de la Grande muraille, fût-elle virtuelle, des hommes et des femmes chassés de chez eux il y a plus d’un demi-siècle ont dû se résoudre un jour à partir et à
prendre l’une des multiples routes du temps, celle de l’exil. Peut-être à rebrousse-temps du temps linéaire commun dans la société humaine. Car enfin, à l’heure de l’émancipation des peuples, lorsque tant d’autres recouvraient la liberté ou accédaient à l’indépendance, le Tibet, lui, était militairement occupé contre la volonté de son peuple révolté, et depuis lors, soumis à une colonisation systématique au nom d’une hypothétique modernisation à marche forcée
piétinant les aspirations profondes des premiers concernés, les Tibétains eux-mêmes. Curieuse destinée à vrai dire pour un peuple dont Jacques Bacot disait à l’orée du XXe siècle qu’il était « étrange et vivait à part des autres, ne faisant rien comme eux »…
Et pourtant : comme d’autres peuples naguère asservis, les Tibétains restent insoumis.
Ils le font savoir à leur manière, parfois surprenante, s’entêtant à ne pas capituler ni à l’intérieur de leur pays défiguré où tout est fait afin qu’ils oublient leurs racines, leur passé, leurs traditions et leur histoire – ni dans l’exil où non contents de reconstruire et de préserver leur héritage, ils l’offrent en partage. Pour enrichir le patrimoine commun de l’humanité. Du toit du monde jusqu’aux rives d’océans lointains : de quoi contribuer à irriguer ou à éclairer les temps à venir.
Sur place néanmoins, en leur vaste berceau d’altitude, la vie est rude à ceux qui persistent à ne pas abdiquer leur singularité, voire à réclamer le respect de leurs droits. Un jeune Tibétain téméraire, rapidement arrêté par des gardiens de l’ordre chinois aux aguets, a osé devant le Jokhang à Lhassa réclamer en solitaire une aide réellement efficace et des compensations pour les victimes du séisme de la mi-avril, laissées pour compte dans les hameaux à peine éloignés de l’épicentre du désastre. D’autres dans la région de la catastrophe ont été arrêtés pour avoir posé des questions sur l’organisation des secours et les incohérences de l’aide d’urgence, retardée par la méconnaissance du terrain et les difficultés d’accès.
Toutefois, comme pour tenter de mieux dissimuler des réalités qui dérangent, à la grandiose exposition universelle de Shanghai censée témoigner aux yeux du monde de la montée pacifique de la Chine sur l’échiquier mondial, il se trouve un « pavillon du Tibet céleste » où, selon une dépêche de l’AFP, on voit des « Tibétains tout sourire richement parés
dans des paysages somptueux illustrant ainsi « la société harmonieuse » version le président Hu Jintao, sous le slogan « le Tibet nouveau, une vie meilleure ». Revers de la médaille, fin avril, l’agence officielle Xinhua en appelait au « renforcement de la vigilance contre les forces étrangères hostiles à la Chine » et à « bloquer les informations nuisibles concernant les droits de l’homme, le Tibet ou le Xinjiang ».
Mieux encore, le 9 mai, une dépêche de la même agence Xinhua rapportait les propos de Jia Qinglin, président du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois, appelant les ressortissants chinois à l’étranger et les étrangers d’origine chinoise, membres de diverses associations culturelles ou d’amitié, à contribuer par des investissements « au développement de la Région autonome du Tibet er la Région autonome ouïghoure du
Xinjiang ». Et de les encourager à être de « fermes partisans de l’unité nationale et de mieux faire découvrir au monde les progrès du Tibet et du Xinjiang, à faire plus d’efforts pour sauvegarder l’intégrité territoriale, la cause de la réunification et la diffusion de la culture chinoise à l’étranger ». Comme si tous les grands (et les moins grands) de ce monde ne s’étaient pas empressés il y a peu dans le sillage du récent tremblement de terre de présenter au président chinois des condoléances très « chinoisement correctes », sans jamais mentionner les victimes tibétaines… Bien seul à tenter un peu tardivement de sauver l’honneur, le Congrès américain serait en train de rédiger une résolution visant à réparer ce manque d’élémentaire courtoisie…
« Se libérer de la peur », n’a cessé de répéter la Dame de Rangoun, toujours recluse dans la maison familiale en train de se délabrer et abandonnée au mauvais vouloir d’une camarilla paranoïaque que d’aucuns font mine de croire sur parole quand les militaires birmans promettent des «élections « libres et ouvertes » devant déboucher sur une
« démocratie disciplinée ». Il y a plus longtemps, vers la fin des années 80, d’autres ailleurs se battaient pour garder la mémoire, résister à l’oubli, ne pas se soumettre ni capituler, se protéger du désespoir : ce vadémécum de la dissidence est-européenne a finalement permis à ses artisans de casser un temps immobile et de briser le contrat du silence.
chemin le plus court vers la liberté des autres est ma propre liberté. »
C.B.L.