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AU TIBET L'AN 9 SOUS LA BOTTE CHINOISE
Le Tibet, tout le Tibet - la Région dite autonome ainsi que les marches orientales historiques du Kham et de l'Amdo enclavées dans les provinces du Gansu, Sichuan et Qinghai - à nouveau fermé aux étrangers jusqu'à fin mars ou avril, en dépit des affirmations officielles péremptoirement réitérées que le calme règne sur le toit du monde. De lourdes condamnations pour 76 « fauteurs de désordres publics », y compris 9 moines de Samyé, lors des événements du printemps 2008, en guise d'avertissement.
Juste avant le Losar et surtout la date fatidique du 10 mars.
Quelques détenus en piteux état relâchés de crainte de les voir mourir en prison. Des Tibétains dans les zones rurales contraints sous peine d'amendes ou de brimades de 'participer' pour l'occasion à des réjouissances de Nouvel an alors que le coeur n'y est pas. Sans oublier la décision ajoutant l'insulte à la blessure d'instituer le 28 mars comme jour férié en guise de « journée de libération des serfs ». Des clichés subrepticement évadés prouvant la présence renforcée de militaires armes au poing à Labrang, devant le Jokhang à Lhassa et dans d'autres monastères. Des centaines d'arrestations (près d'un millier) préventives, des mises en garde et des menaces explicites - si toutes ces informations n'illustrent pas le quotidien d'un pays non pas « sous contrôle » (comme le dit la propagande officielle), mais simplement occupé, c'est signe que les mots, qui nomment les choses, sont singulièrement dévalorisés. Ou ne veulent plus rien dire.
Et pendant ce temps, au Conseil des droits de l'homme de l'ONU, le fameux EPU pour « Examen périodique universel » si fièrement brandi comme la panacée à tous les maux qui ont fait sombrer la défunte Commission des droits de l'homme dans le discrédit, passe en revue le dossier de la Chine. Un exercice si futile que Human Rights Warch n'a pas hésité à le qualifier d'échec.
Rappelons que ladite épreuve se fonde sur des rapports et documents préparés et fournis par le gouvernement du pays sur la sellette. Les « pairs » sont les autres membres du Conseil, c'est-à-dire les représentants mandatés des pays membres de l'honorable ( ?) institution. Les autres pays et les ONG peuvent poser des questions et
présenter leurs points de vue, qui sont résumés par les fonctionnaires du Secrétariat aux droits de l'homme à l'intention des participants au débat, dont le nombre est strictement limité, de même que leur temps de parole.
D'emblée il est apparu qu'en ce qui concerne l'examen de la Chine, les dés étaient pipés : dans la présentation du dossier, aucune référence aux questions précises émanant d'ONG, tandis que toute remarque jugée (par qui ?) désobligeante de certains (trop rares) gouvernements a été gommée. Si bien que le choeur devenu habituel des dictatures et autoritarismes divers qui mènent le bal au Conseil a eu tout loisir de tresser des louanges au régime chinois après avoir béatement écouté l'émissaire de Pékin égrener les bienfaits du régime en vue de faire le bonheur du peuple et de civiliser les « minorités ». Pas un traître mot du Tibet ou des Ouïghours, ni des dissidents incarcérés, ni des mécontents privés de parole, ni des récalcitrants qui osent encore redresser la tête : ils n'existent pas. Circulez, il n'y a vraiment rien à voir. Le silence des démocraties - ou de ce qui en reste - devient
assourdissant.
Et pendant ce temps, le Fils du ciel - pardon, du Parti communiste - de service à Pékin, Hu Jintao en personne (celui qui a été surnommé « le boucher de Lhassa » en raison de sa politique de répression au Tibet à la fin des années 1980) fait tranquillement une tournée officielle dans quelques pays amis. A commencer par l'Arabie saoudite (cet autre champion des droits de l'homme, et surtout de la femme) tandis que le porte-parole chinois s'empresse de préciser, à la veille de son départ, que « ce déplacement n'a rien à voir avec le pétrole, c'est uniquement une visite d'amitié » . Ce qui va sans dire va toujours mieux en le disant. Ce qui n'a pas empêché l'ami chinois de signer un joli contrat (près de trois milliards de dollars) avec son ami le roi pour la construction d'un monorail dans la ville sainte de La Mecque, afin de faciliter le parcours des pèlerins...
Autant pour le PDG d'Alsthom qui se plaignait au début de l'année des tentatives chinoises d'exporter des
« technologies étrangères », contrairement aux engagements contractuels signés avec de grands consortiums dont sa firme fait partie. Le reste du voyage africain s'est déroulé sur tapis rouge en pays conquis, car bien sûr, l'amitié n'a pas de prix...
Dans le même temps, ce bon M. Raffarin s'efforçait d'amadouer ses hôtes à Pékin afin de panser définitivement (?) les blessures d'amour-propre chinois et de rétablir les « liens cordiaux » entre les deux pays. En attendant le prochain faux-pas d'une opinion publique 'mal informée' ou d'un responsable téméraire que Son Impériale Majesté pékinoise s'empresserait de rappeler à l'ordre ?
Lors de son bref voyage récent en Europe - Rome, Venise et Baden-Baden - le Dalaïlama a rappelé, en réponse à une question, que la situation était « tendue » au Tibet et que des troubles pouvaient se produire. Pékin a réagi au quart de tour en l'accusant de fomenter le désordre et l'insécurité. Pour justifier les mesures coercitives annoncées, l'interdiction aux journalistes d'aller vérifier les faits sur place et tenter de faire passer pour argent comptant une propagande minutieusement orchestrée ?
Un ouvrage intitulé « Nous avons vu mourir l'Espagne » vient de paraître aux Etats-Unis.
Soixante ans d'occupation, cinquante ans d'exil t de résistance même passive tissent la toile solide de l'existence tibétaine depuis de longues années, avec en point de mire l'espérance d'un retour trop longtemps différé. Plus que jamais le temps presse : l'endurance, l'espoir et la solidarité sont nécessaires pour aller jusqu'au bout du chemin.
Pour que demain nul ne puisse compiler un recueil sous le titre « Nous avons vu mourir le Tibet »...
C.B.L.